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— Mais l’aigle n’est-il pas un forban ? répliquai-je. Ne fait-on pas bien de le détruire ?

— Hélas ! oui, c’est un meurtrier, dit en soupirant le vieillard ; il verse le sang comme tous ceux qui vivent. Mais sommes-nous obligés d’en faire autant ? Je ne le fais pas, moi ; mais toi,… oui, oui, toi aussi, tu es de la race de Caïn, tu portes le signe…

J’étais mal à l’aise. — Et toi, lui dis-je enfin, qui es-tu donc ?

— Je suis un errant.

— Qu’est-ce, un errant ?

— Un homme qui fuit la vie…

Il déposa le cadavre de l’oiseau sur le sol et me regarda ; ses yeux avaient maintenant une expression de douceur infinie.

— Repens-toi, reprit-il d’une voix pénétrante, répudie le legs de Caïn ; cherche la vérité, apprends à renoncer, à mépriser la vie, à aimer la mort.

— Où est la vérité ? Peux-tu m’en montrer le chemin ?

— Je ne suis pas un saint, répondit-il ; je ne suis point en possession de la vérité. Mais je te dirai ce que je sais.

Il fit quelques pas vers un tronc d’arbre pourri qui était couché dans la clairière et s’y assit ; je m’installai en face de lui sur un bloc de pierre, les mains sur les genoux, prêt à l’écouter. La tête appuyée sur ses deux mains, il regarda quelque temps devant lui comme pour se recueillir.

— Moi aussi, commença-t-il enfin, je suis un fils de Caïn, petit-fils de ceux qui ont mangé de l’arbre de la vie. Pour l’expier, je suis condamné à errer, à