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LA FONTAINE AUX LARMES

rivée au harem de Kerim Gireïs, où elle s’attendait à être traitée en esclave et où, bientôt, elle régna sans conteste sur le Khan, fou d’amour, qui faisait de sa tête orgueilleuse un escabeau pour ses pieds.

— Tu l’aimes ? demanda brusquement le jeune homme.

— Il y a eu des moments où je l’ai cru, répondit-elle après un instant de réflexion. Je l’eusse certainement aimé, s’il était venu me demander ma main chez mon père. Mais, ici, je n’ai pas le choix, je suis forcée d’être à lui et je le hais.

— Merci de cette parole ! s’écria l’esclave avec véhémence.

— Et pourquoi ?

— Parce que je t’aime.

Il dit ces mots en levant vers elle des yeux pleins de profonde adoration.

Elle se pencha sur lui et le contempla avec un silencieux bonheur.

— Oui, tu m’aimes, murmura-t-elle, je le sens, et ton amour est pour moi une divine consolation. Comme la vie nous change ! Quand jadis les magnats me suppliaient à genoux de leur accorder ma main, je n’avais pour eux que du dédain. On me