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LA FONTAINE AUX LARMES

des sauvages Khans de Crimée, autrefois la terreur des plaines russo-polaques et du Caucase éternellement blanc, semble se relever et retrouver pour un moment la somptuosité disparue.

Les grandes salles et les espaces entre les colonnes blanches, paraissent s’animer, et les quadruples terrasses des jardins, où les beautés tartares, dissimulées sous des voiles éblouissants, glissent, comme des spectres, sous les hauts platanes. Les vastes cours se réveillent, les faisans dorés poussent leur cri et, du harem, vient le bruit de rires cristallins.

L’air est saturé de parfums troublants, des centaines de jets d’eau élèvent, au clair de lune, leur colonne transparente et bleuâtre, pour retomber en bruissant dans les vasques de marbre. L’enchantement ne dure qu’un instant. Bientôt, tout redevient morne et désert.

Dans l’antique prison de la Beauté, le hibou hulule sous le plafond effondré, des serpents glissent, rapides, sur les dalles effritées et la fontaine aux larmes, seule, sur la mystérieuse tombe de la belle étrangère qui régna, prisonnière, dans ces lieux, murmure sa plainte éternellement triste, et, parmi les myrthes et les roses, le rossignol sanglote son immortel lamento d’amour.