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LA PÊCHEUSE D’AMES.

— Il faut prévenir le comte. Allez tout simplement trouver mon père, et demandez-lui ma main !

— Je le ferai, dès que j’aurai parlé à ma mère.

— Avez-vous besoin de son consentement ?

— Non, Anitta ; mais il y a différentes choses à arranger, et je veux pouvoir dire à votre père quel avenir je pourrai offrir à sa fille.

— Vous avez raison, s’écria Anitta en riant, je n’y ai pas pensé ; je croyais que nous pourrions nous bâtir une demeure dans les branches verdoyantes d’un arbre, comme les chanteurs de la forêt, et vivre des graines que répand la main généreuse de Dieu pour nourrir ses créatures. Mais ne tardez pas, chaque jour, chaque heure peut amener un nouveau danger. »

Un sifflement aigu avertit le jeune couple. C’était Tarass qui donnait ce signal à Anitta.

« Il faut partir, lui dit-elle en se levant, c’est certainement une visite. »

Zésim la serra encore une fois contre sa poitrine, lui donna un long baiser où il mit toute son âme, puis partit rapidement, tandis qu’elle revenait en toute hâte à la maison. C’était le jésuite que Tarrass avait annoncé. Anitta le rencontra à moitié chemin.

« Quoi ! seule ! dit-il. J’ai peur de vous avoir troublée dans vos doux rêves. Puis-je vous demander de qui vous étiez occupée ?

— Je ne sais pas ce que vous voulez dire, père Glinski.

— Mon cher comte est plein de votre pensée, dit le jésuite, il ne parle plus que de l’ange qui lui est apparu ; et, en effet, vous êtes entrée dans sa vie comme un envoyé du ciel. Vous tenez dans vos mains une grande destinée. Vous seule êtes capable de faire de cet homme sauvage et sans frein, qui est doué dans le fond des meilleures et des plus brillantes qualités, une créature humaine qui donne de la joie à Dieu et à nous tous et qui remplisse le monde de ses nobles actions et de ses bonnes œuvres.

— Vous vous trompez, mon révérend père, répliqua Anitta avec calme et loyauté, votre comte a besoin d’une main ferme qui le fasse obéir, la mienne est faible et complaisante. Je ne le rendrais pas heureux non plus. Quant à moi, si je vivais avec lui, je serais aussi malheureuse qu’une créature humaine peut l’être.

— Parce que vous en aimez un autre ?