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LA PÊCHEUSE D’AMES.

d’une mère. De bonne taille, élancé, avec des muscles d’acier ; un beau et noble visage, qu’encadrait une courte barbe blonde, et où brillaient deux grands yeux bleus enthousiastes, il représentait la nature humaine dans ce qu’elle a d’aimable.

« Combien de temps restes-tu ? lui demanda tout d’abord sa mère.

— Deux semaines, mère chérie, mais Kiew est près ; je reviendrai bientôt.

— À Noël ?

— Plus tôt, aussi souvent que je le pourrai. »

Il regarda autour de lui, et une émotion silencieuse s’empara de son cœur. Tout était comme il l’avait laissé, quand il était parti, encore adolescent. Chacune des vieilles armoires, des vieilles tables, des vieilles chaises était toujours à la même place. Le sopha avait toujours son étoffe à fleurs, qu’il connaissait si bien. L’antique horloge faisait toujours entendre son majestueux tic-tac. Sur le poêle se tenait encore la Diane de plâtre, avec son carquois et son arc ; et sur la commode étaient les flacons avec les fruits confits dont il aimait tant à se régaler.

« Qu’est devenue Dragomira ? » demanda tout à coup Zésim. Mme Jadewska haussa les épaules.

« Elle n’a pourtant pas quitté le bon chemin ?

C’est selon comme tu l’entends. Elles sont devenues dévotes, elle et sa mère. Tu ne reconnaîtras pas ta joyeuse compagne d’autrefois. On n’entend plus chez elles qu’oraisons et psaumes de la pénitence.

— Il faut que j’y aille, aujourd’hui même.

— Pourquoi tant te presser ?

— Je ne sais, je me réjouis de revoir Dragomira. N’était-elle pas autrefois ma petite femme, quand nous nous bâtissions des maisonnettes avec des bottes de paille et des branches.

— Je ne t’en empêche pas, tu peux y aller, mais tu ne trouveras pas ce que tu cherches.

— Combien y a-t-il d’ici à Bojary ? Un quart de lieue ?

— Oui, à peu près. »

Zésim se leva, prit son bonnet, chargea son fusil de chasse, qui était pendu à un clou, le mit sur son épaule, embrassa sa mère et partit.

La route passait par les champs dont les blés étaient coupés et par une prairie où les bergers avaient allumé un grand feu autour duquel ils s’étaient installés pendant que les chevaux