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LA PÊCHEUSE D’AMES



I

LA PRÉDICTION

Devant mon esprit se dévoile tout ce
qui sera.
ESCHYLE.

Un cri sauvage et désespéré comme celui d’un tigre blessé retentit dans le silence et le calme du soir. Les chevaux s’arrêtèrent, sans que le cocher tirât sur les rênes ; et, pendant qu’il se signait, un jeune officier se levait dans la légère calèche et regardait tout ému dans la direction d’où était venu ce cri épouvantable.

« Qu’est-ce ?

— On dirait qu’un homme a crié au secours, répondit le cocher.

— Où ?

— Si j’ai bien entendu, cela venait de l’eau. »

L’officier sauta hors de la calèche et s’élança vers la rivière, à travers les chaumes et les épaisses broussailles. Encore un cri, un dernier, étouffé, cette fois, un cri de détresse, suppliant ; puis l’eau fit entendre un sifflement, comme si l’on y avait jeté une pierre brûlante.

« Il y a quelqu’un qui se noie, » pensa l’officier. Il prit son revolver, courut à en perdre haleine vers la rive à travers la prairie et les roseaux. Dans le demi-jour qui suivait le cou-