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LA PÊCHEUSE D’AMES.

Tabisch pour lui donner ses ordres. Quand il se fut un peu reposé, il repartit et s’en alla au village, à travers la forêt d’un pas tranquille, la pipe à la bouche, le bâton à la main, comme un bon paysan.

Il trouva dans un cabaret un grand garçon de la campagne, qui, moyennant deux roubles et un petit verre d’eau-de-vie, se chargea volontiers d’un message pour Zésim. Quand le jeune campagnard fut à cheval, Tabisch lui demanda encore s’il avait bien compris.

« Certainement, répondit-il, la demoiselle qui est chez la nourrice du monsieur est en danger ; monsieur l’officier fera bien de venir tout de suite ; seulement, pas chez Kachna, mais ici, au cabaret.

— Bien, je vois que tu es un garçon avisé. »

Le messager partit. Tabisch calcula que Zésim ne pourrait pas arriver avant le point du jour, et se remit en route pour le rocher. Il retraversa la forêt sans accident et fit son rapport à Dragomira.

La police avait trouvé vide le nid des Dispensateurs du ciel, et était revenu à Kiew après avoir laissé quelques gendarmes pour garder la maison. La poursuite n’avait pas été plus loin et les fugitifs pouvaient jouir d’un peu de repos. La nuit était venue ; l’armée des étoiles brillait au ciel ; un silence religieux régnait au-dessus des cimes des chênes séculaires. Bientôt tout dormit, seule, une louve aux yeux ardents errait dans les profondeurs de la forêt, et Dragomira, que fuyait le sommeil, restait assise sur ses molles fourrures et songeait. Enfin, elle s’endormit, elle aussi. Mais ce ne fut pas pour longtemps : le premier chant d’oiseau l’éveilla de grand matin.

Cependant, le messager était arrivé à Kiew, avait réveillé Zésim et s’était acquitté de la commission. Zésim le renvoya sur-le-champ avec un autre message. Seulement, quand le garçon revint, au lieu d’aller au cabaret, il se rendit à la maison de la nourrice et lui annonça que : « Monsieur l’officier le suivait de près et serait au cabaret dans un quart d’heure au plus tard. »

Ce message parut singulier à la paysanne, qui s’était réveillée la première et qui causait avec le jeune homme par la fenêtre. Elle lui dit d’attendre et éveilla Anitta.

« Mon enfant, dit-elle, avez-vous envoyé un message à Zésim ?

— Moi… ? Non.

— Il y a là un garçon qui apporte une réponse de lui. Parlez-lui vous-même. »