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LA PÊCHEUSE D’AMES.

aucun renseignement précis pour nous guider dans nos recherches. Peut-être le hasard nous viendra-t-il en aide et apporterait-il un peu de clarté dans ces horribles ténèbres. »

Ils revinrent tous ensemble à Kiew. Glinski alla immédiatement chez le directeur de la police, et obtint l’envoi à Moscou d’un agent habile. Zésim retourna chez lui, et, à sa grande surprise, trouva Henryka qui l’attendait depuis deux heures.

« Qu’est-ce qui vous amène ici ? demanda-t-il tout d’abord.

— Ces épouvantables événements des jours derniers, répondit-elle ; je voulais vous avertir, et je tremble pour Anitta. Savez-vous qu’elle a disparu ? que personne ne sait rien à son sujet ? Ne craignez-vous pas qu’elle soit tombée dans les mains de Dragomira comme Soltyk ?

— Non, vous pouvez être tranquille là-dessus.

— Alors, vous savez où se trouve Anitta ?

— Oui.

— J’en suis bien heureuse ; je respire. Et où est Dragomira ? Avez-vous de ses nouvelles ?

— Elle m’a écrit qu’elle partait pour Moscou, d’où elle comptait fuir à l’étranger.

— Encore des mensonges et des fourberies ! s’écria Henryka ; elle voulait simplement vous tromper. J’étais à Chomtschin la nuit où elle s’est mariée avec Soltyk. Elle se défiait déjà de moi, parce [que] je n’étais plus aveugle, et que j’avais découvert son vrai visage sous son masque de sainteté. Je sais tout de même qu’elle n’est pas partie pour Moscou, mais pour la Moldavie.

— Avec le comte ?

— Oui.

— Vous ne croyez pas qu’elle l’ait tué ?

— Dragomira est capable de tout, s’écria Henryka ; c’est tout simplement une bête féroce, un tigre altéré de sang. Oh ! comme je l’ai aimée, et comme elle m’a trompée et maltraitée ! — Henryka se cacha le visage dans les mains et se mit à pleurer avec une émotion nerveuse. — Je croyais à sa mission. Je ne me doutais pas de la route qu’elle voulait me faire prendre, et j’étais son écolière, sa servante, son esclave. Elle m’a foulée aux pieds, elle m’a battue, comme l’aurait fait une arrogante sultane. Je porte encore les marques des coups de fouet qu’elle m’a donnés. J’étais si humble ! si obéissante ! Je l’ai adorée comme une divinité. Enfin, j’ai découvert avec horreur qu’elle