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LA PÊCHEUSE D’AMES.

— Tu veux me tuer ?

— Oui, je vais te sacrifier.

— Est-ce que je rêve ? s’écria Soltyk en se relevant d’un bond ; suis-je fou ? ou es-tu folle ? Où suis-je ?

— Tu es entre mes mains.

— Et tu veux me trahir ? À qui veux-tu me livrer ?

— Tu m’as dit : prends mon sang, si cela te fait plaisir. Je le prends maintenant ; je le désire.

— Quelle plaisanterie ! »

Soltyk se mit à rire. Dragomira le regarda, se leva et appuya sur un bouton qui se trouvait dans le mur.

« Que fais-tu ? demanda-t-il.

— J’appelle mes compagnons.

— Dans quelle intention ?

— Parce que je vois que tu ne te soumettras pas volontairement à ton sort.

— Tu veux employer la violence ? s’écria le comte ; la violence contre moi, que tu aimes ? Contre ton époux ?

— Oui.

— D’où te vient cette haine subite, ce désir homicide ?

— Ce n’est pas de la haine, c’est de l’amour. C’est parce que je t’aime que je veux sauver ton âme de la damnation éternelle.

— Suis-je donc sans défense ? s’écria Soltyk ; je suis encore libre, je ne me laisserai pas égorger comme un agneau.

— Tu es mon prisonnier ; tu n’as plus aucun moyen de te sauver.

— Femme ! serpent ! ne me rends pas fou ! »

Le comte poussa Dragomira dans un coin et la saisit à la gorge avec les deux mains. Il l’aurait étranglée, bien qu’elle résistât de toutes ses forces, sans Karow, qui le saisit à l’improviste par derrière et le terrassa.

Presque au même instant, deux autres hommes se précipitaient sur lui ; et, pendant qu’ils le mettaient hors d’état de remuer, Karow lui posait le genou sur la nuque, et, rapidement, avec la dextérité d’un bourreau, lui attachait les pieds et les mains.

Ils relevèrent alors Soltyk, qui jeta un regard plein d’une haine sauvage sur Dragomira. Elle le considérait tranquillement, sans pitié.

« Où faut-il le conduire ? demanda Karow à voix basse.

— Devant l’Apôtre. »