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LA PÊCHEUSE D’AMES.

assise à côté de Glinski, au milieu des molles et précieuses fourrures qui garnissaient l’équipage, elle tendit au comte ses lèvres rouges et brûlantes ; un baiser fut échangé ; puis le fouet retentit, et l’attelage partit au galop.

Quand ils furent arrivés à Kiew, Dragomira congédia le jésuite et envoya Barichar à Zésim.

L’officier vint immédiatement.

« Qu’avez-vous à me dire ? demanda-t-il, je suis surpris que vous vous souciiez encore de savoir si je suis ou non de ce monde.

— Toujours des reproches, répondit Dragomira en lui mettant lentement un bras autour du cou, que veux-tu, tu es pourtant à moi, je te tiens et je ne te lâcherai plus.

— Tu te trompes.

— Ah ! si tu ne m’aimes plus ?

— C’est moi que tu veux accuser ? Moi ? Et quand tu viens de passer une série de jours avec Soltyk, dans son château ?

— Oui, en compagnie de ma mère.

— En tout cas, pour me trahir en sa faveur.

— Tu n’as pas le droit de me parler ainsi, répondit Dragomira avec calme ; je ne t’ai jamais trompé ; je t’ai toujours dit sincèrement que je poursuis un plan au sujet du comte ; je t’ai encore déclaré il y a quelque temps que je suis près du but et que rien ne s’oppose plus à notre union. Aie confiance en moi, même maintenant que j’ai fait, parce qu’il fallait le faire, le pas le plus audacieux, le plus risqué en apparence.

— Qu’as-tu encore à m’avouer ?

— Je me suis fiancée hier soir à Soltyk.

— Dragomira !

— Ne m’interromps pas ; écoute-moi jusqu’à la fin. J’ai une grande, une sainte mission à remplir. Il fallait jouer cette comédie pour rassurer complètement le comte. À présent il est en mon pouvoir. Je te donne ma parole que jamais le mariage n’aura lieu. Dans quelques jours je pars avec ma mère et Soltyk pour Bojary. C’est là que tout se décidera. À mon retour je t’appartiendrai et je te suivrai à l’autel.

— Comment croire un pareil conte ? s’écria Zésim en se levant brusquement. Tu veux me tromper, pour que je ne vienne pas gêner ton mariage. Une fois comtesse Soltyk, tu te moqueras du malheureux qui t’aimait, qui t’adorait.

— Si tu te défies de moi, dit Dragomira, alors tout est fini entre nous. »