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LA PÊCHEUSE D’AMES.

L’apôtre s’enfonça dans ses pensées.

« As-tu encore quelque chose à me dire ? demanda Dragomira au bout de quelques instants.

— Non, tu sais tout. Va avec Dieu.

— Et quelle pénitence m’imposes-tu ? Je veux partir pure pour ma mission, le cœur et la conscience libres.

— Tu as raison ; viens donc. »

Il se leva et marcha devant elle à travers le corridor et la cour sombre du château. Tous les deux entrèrent dans la chapelle, dont les murs portaient encore les traces d’anciennes peintures. De la voûte, soutenue par des piliers massifs, pendait une petite lampe qui jetait, à travers l’obscurité, une lueur incertaine. En face de l’entrée se dressait un autel de pierre, de grandeur ordinaire, au-dessus duquel était suspendu le Sauveur crucifié avec sa couronne d’épines et ses plaies sanglantes. Une ombre épaisse était répandue sur la mélancolique image ; sur le visage seul tombait une mystérieuse clarté.

« C’est ici que tu dois éveiller dans ton cœur le repentir et l’affliction, dit l’apôtre, humilie-toi devant lui qui est notre maître et notre juge à tous, et attends-moi. »

Il disparut et Dragomira resta seule. Elle se jeta à genoux devant l’autel et s’étendit ensuite sur les dalles du sol, les bras allongés en croix, le visage contre terre. Elle resta longtemps ainsi et pria en répandant des larmes brûlantes.

Par intervalles, dans le silence de la nuit, des plaintes douloureuses comme celles des damnés dans les enfers s’élevaient on se mêlant à un chant de psaumes faible comme un murmure et d’une tristesse infinie.

Quand ces plaintes et ce chant qui la faisaient frissonner s’interrompaient, elle entendait le grincement mélancolique de la vieille girouette sur la tour et le cri du hibou dans la forêt.

Enfin, des pas s’approchèrent. Dragomira se redressa. Devant elle était l’apôtre, une discipline à la main. Elle resta devant lui, à genoux, humble et soumise comme la pénitente devant le maître.

Le Sauveur crucifié laissait tomber sur elle un regard de compassion, et sur son front déchiré par les épines et sur ses lèvres à la douce expression, il sembla que passait un mélancolique sourire.