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LA PÊCHEUSE D’AMES.

— Pourquoi ? Je ne trahis jamais un secret. »

Dragomira se pencha et prit les mains de Bedrosseff.

« Ce n’est pas gentil de piquer ma curiosité et de me laisser ensuite derrière la porte fermée.

— Nous avons à Kiew, dit alors le commissaire de police, un lieu mal famé, où vont toutes sortes de canailles. On l’appelle le cabaret Rouge. »

Dragomira se mit à rire.

« Qu’avez-vous ? Qu’est-ce qui vous rend si gaie !

— Je me figurais… dans cet endroit-là… que c’est bien plutôt des couples d’amoureux qui s’y rencontrent, des jeunes filles qui ont donné leur cœur contre la volonté de leurs parents, des femmes…

— Je sais aussi cela, continua Bedrosseff ; mais l’aubergiste, une juive rouée, et ses associés sont soupçonnés de faire quelque commerce interlope, et d’être en rapport avec des voleurs. Cette bande est bien capable de dévaliser quelqu’un et de le tuer.

— Vraiment ? Je suis bien aise de le savoir.

— Pourquoi ? demanda le commissaire de police intrigué. Vous n’avez jamais, que je sache, mis le pied sur le seuil de ce cabaret ? »

Dragomira recommença à rire.

« Mais alors ?…

— Oui, mais que cela ne sorte jamais de nous deux, répondit Dragomira ; j’y suis allée plusieurs fois. Ma tante a peur de tout et me garde très sévèrement. Vous comprenez ?…

— Parfaitement. Vous y avez rencontré Zésim ?

— Je ne dis pas cela.

— Oh ! j’en sais plus que vous ne pensez.

— Quoi, par exemple ?

— Que vous vous promenez parfois la nuit dans les rues et que vous vous déguisez de façon à être méconnaissable. » Nouveau rire sonore de Dragomira.

« Alors je comprends, s’écria-t-elle, que les voleurs et les assassins ne soient pas découverts, puisque la police ne sait rien faire de mieux que de s’occuper des jeunes filles amoureuses. C’est on ne peut plus charmant. »

Son rire éclatant recommença et durait encore lorsque Henryka entra et lui sauta au cou.

« C’est encore moi qui ai raison, pensa le Commissaire de police, l’affaire est aussi innocente que possible, et le jésuite