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LA PÊCHEUSE D’AMES,

marbre virginal et passer un éclair dans ces yeux fiers et froids ? Ce fut un regard que Soltyk ne comprit pas. Tel devait être le regard de la lionne au milieu de l’arène brûlante, quand le martyr chrétien désarmé allait au devant d’elle.

« Qu’avez-vous donc ? demanda Soltyk.

— Rien, rien. »

Elle se pencha en arrière, et ferma les yeux à demi.

« Vous appartenez donc à une secte religieuse ? dit le comte, au bout de quelques instants.

— J’appartiens à une petite communauté, répondit Dragomira en ouvrant lentement les yeux, et cette communauté a une grande et sainte mission à remplir.

Représentez-vous le monde d’aujourd’hui, reprit Dragomira, l’état général des esprits. D’un côté vous avez la foi religieuse aveugle, morte, qui s’attache à des formes dénuées de sens, qui murmure des prières que personne n’entend et qui confie les âmes à des prêtres dont toute la vocation consiste à songer à leur bien-être corporel. De l’autre côté vous voyez l’incrédulité, pour laquelle il n’y a plus rien de sacré ; l’incrédulité qui applique son compas aux étoiles comme aux crânes des animaux et des hommes, qui pèse tout, calcule tout, analyse tout ; qui suit de l’œil la croissance des plantes ; qui connaît les pierres, les planètes et qui ne sait rien de Dieu parce qu’elle ne l’a pas découvert au bout de son télescope. Eh bien, au milieu de cette hypocrisie et de cette adoration qui s’adresse à la lettre et non à l’esprit ; en présence de cet avilissement de l’homme, ravalé au niveau de la bête, et de cet amoindrissement de la nature dépouillée de Dieu, à la vue du dégoût, du vide, du désespoir d’ici-bas, ne comprenez-vous pas qu’il y ait des âmes qui aspirent à Dieu, qui le cherchent au delà des étoiles, au delà de la cellule et du mucus primitifs, et qui s’efforcent d’entrer en relation avec le monde des esprits dont elles ont le pressentiment ?

— Vous croyez qu’il y a un Dieu ?

— Oui, je le crois.

— Et qu’il y a un monde supérieur au-dessus de ce monde terrestre ?

— Oui.

— Et qu’il est possible de pénétrer dans ce monde-là ?

— Non seulement je le crois, mais je le sais, j’en suis convaincue.

— Alors vous êtes spirite ?