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LA PÊCHEUSE D’AMES.

— Crois-tu que Dieu t’a créée pour le martyre ? Je crois que c’est bien plutôt pour donner la félicité et pour en jouir.

— C’est ainsi, répondit-elle, que parle l’homme dont l’esprit est emprisonné dans les lourdes et épaisses vapeurs de la terre. La femme est plus pure et plus sage que lui ; aussi est-elle moins l’esclave du péché.

— Si tu es un ange, répliqua Zésim avec un sourire qui la déconcerta un peu, alors sois le mien ; conduis-moi sur ces pures hauteurs où tu résides.

— Ne le souhaite pas, la route qui y mène est pénible et douloureuse. »

Elle attacha pour la première fois sur lui un regard de compassion et presque de prière. Puis elle eut comme un frisson soudain et elle lui saisit la main.

« Va-t-en, maintenant, va-t-en. On me cherche. »

Elle le salua encore d’un mouvement de tête et le quitta rapidement.

Pendant qu’elle s’éloignait et que sa taille élancée disparaissait avec un doux balancement entre les buissons de groseilliers et les arbres du verger, un sinistre et menaçant personnage se montrait à la porte du jardin. C’était un homme grand et fort, d’environ quarante ans, à la chevelure blonde et bouclée, à la barbe blonde, vêtu d’une longue robe noire à plis. Sur ses traits se lisait la conscience froide et impitoyable d’une puissance illimitée.

« Est-ce un prêtre ou un démon ? se demanda Zésim, et qu’est-ce que tout cela signifie ? »