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LA PÊCHEUSE D’AMES.

Pendant que la musique et les voix aux joyeux éclats produisaient un aimable chaos, de petites huttes de Kamtschadales, construites en peaux, disséminées dans les fourrés voisins et agréablement chauffées, invitaient les couples amoureux à de paisibles et charmants rendez-vous.

Entouré, entraîné par les masques folâtres, le comte avait été séparé des Oginski. Il découvrit tout à coup Dragomira qui seule se trouvait aussi sur la rive de l’étang et promenait ses regards au loin sur la foule, comme si elle cherchait quelqu’un.

« Vous avez perdu votre cavalier, dit Soltyk en s’approchant d’elle, puis-je vous offrir mes services ? »

Dragomira prit sans façon le bras du comte qui lui montra le temple en souriant.

« Votre image, dit-il à voix basse.

— En quoi ?

— Vous aussi, vous êtes une Vénus de glace.

— Ah ! cher comte, ne savez-vous pas combien la glace fond rapidement quand vient le printemps ?

— Oui, certes, répondit Soltyk ; mais ce printemps, dont la chaude haleine doit vous vaincre, où est-il ?

— Je ne le connais que par ouï-dire, ce grand enchanteur auquel tout cœur doit céder, dit Dragomira avec un fin sourire.

— Et cet enchanteur, c’est l’amour ?

— Oui.

— Mais vous n’êtes pas capable d’aimer.

— Je le crois presque moi-même.

— Vous n’avez pas de cœur.

— Si… mais un cœur de glace !

— Oh ! si je pouvais l’échauffer ? murmura Soltyk avec un regard d’où semblaient jaillir des flammes.

— Vous ? »

Dragomira le regarda bien en face.

« Vous ne savez que vous jouer des femmes, et je ne suis pas un jouet. »

Le comte se mordit les lèvres ; au même moment Anitta approchait et la conversation prit fin. Dragomira prit le bras d’Anitta ; puis toutes les deux retournèrent dans l’antichambre pour ôter leurs fourrures et se perdirent ensuite dans le tourbillon des danseurs.

« Il sera à moi, se disait Dragomira, dès que je le voudrai ; il ne me semble pas bien difficile à conquérir ; mais il s’agit ici