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LA PÊCHEUSE D’AMES.

— À moi ? pas la moindre ; mais relève-toi ; ma tante ou toute autre personne peut venir ; il ne faut pas qu’on te voie ainsi. »

Zésim se releva, ôta son manteau, déboucla son épée et s’assit en face de Dragomira.

« Comme tu es belle ! » murmurait-il.

En effet, un charme indescriptible émanait de toute la personne de Dragomira comme d’un paysage de printemps, tout vit et va fleurir. Et elle avait bien aussi le printemps en elle ; elle aimait pour la première fois, elle éprouvait ce sentiment tout nouveau pour elle, cette angoisse mystérieuse, ce vague désir qui rend si douloureusement heureux et prépare de si chères souffrances.

Le parfum lourd et engourdissant dont la chambre était remplie, la lumière indécise qui l’éclairait doucement contribuaient encore à troubler Zésim. La lueur verte de la lampe posée sur la table se mêlait aux reflets rouges du feu de la cheminée et colorait de nuances magiques et charmantes les riches coussins du divan, les rideaux et les tapis dont les fleurs fantastiques semblaient se dresser. Dragomira avait une longue robe blanche et une ceinture bleue ; un ruban de même couleur retenait sur ses épaules ses cheveux blonds, à moitié dénoués.

À la pointe de ses pantoufles turques de velours bleu brillait un croissant qui avait été brodé par quelque esclave du harem.

« M’aimes-tu encore ? demanda Zésim, après l’avoir longtemps contemplée en silence.

— Oui, répondit-elle d’une voix qui venait du fond de l’âme et qui bannissait tout doute, je t’aime, je n’aime que toi, tu es le premier homme que j’aime, et tu seras le dernier.

— Oh ! merci ! murmura Zésim en lui baisant les mains ; je puis donc espérer qu’un jour tu m’appartiendras, que tu me donneras ta main.

— Oui… un jour… mais pas si tôt, reprit-elle.

— À quoi songes-tu ?

— Nous nous aimons, c’est un bonheur, mais c’est aussi un danger, dit Dragomira ; pour se marier il faut plus que de l’amour, il faut être sûr que l’on sera d’accord, que l’on pourra vivre ensemble.

— Tu as raison.

— Nous ne pouvons pas nous laisser entraîner les yeux