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XX

PASTORALE

Le livre le plus merveilleux des livres est le livre de l’amour.
GŒTHE.

Depuis des semaines, le comte Soltyk se trouvait dans un état absolument nouveau pour lui et qui surexcitait au plus haut point tous les instincts de sa nature. Un jour lui paraissait d’ailleurs s’enfuir comme une seconde, et les évènements d’une année se renfermer dans les vingt-quatre heures d’une journée. Il lui semblait faire un de ces rêves où l’on s’égare dans une contrée qu’on n’a jamais vue, dans un édifice inconnu et mystérieux dont on sent la voûte peser sur sa tête ; on cherche avec une indicible angoisse à sortir par des ouvertures qui deviennent de plus en plus étroites ; on monte un escalier dont les marches sont de plus en plus hautes et raides, et une fois parvenu en haut, on se précipite dans les airs pour fendre l’espace sans ailes.

Jamais, jusqu’à ce jour, il ne lui était arrivé de voir une femme le dédaigner ou lui résister : toutes semblaient attendre un signe de lui, avec un doux sourire, comme des odalisques ; et peut-être était-ce pour cela qu’aucune n’avait réussi à le conquérir ou à l’enchaîner. Et, maintenant, il avait rencontré une jeune fille qui ne s’occupait nullement de lui, dont la pensée le tourmentait et le bouleversait. Il allait et venait comme si les Furies l’eussent poursuivi ; tel qu’une bête fauve traquée par les chiens, il sortait précipitamment de son palais pour se rendre au club, du club il allait au café, du café sur la promenade et de la promenade chez quelque brillante dame à la mode ; enfin épuisé et mécontent, il finissait toujours par re-