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LA PÊCHEUSE D’AMES.

casion de vous déclarer ; remettez-vous-en à moi pour cela, monsieur le comte. Je suis heureuse de voir que vous voulez conquérir vous-même le cœur de ma fille ; elle est un peu entêtée, et elle aimera mieux résister que se soumettre à notre volonté.

— N’ayez pas d’inquiétude, dit Soltyk en souriant, je ne montrerai que l’ardent adorateur et je cacherai avec soin le prétendant favorisé par les parents. Cela me sera facile, car j’aime Anitta avec une passion dont vous ne me croyez peut-être pas du tout capable.

— Oh ! par exemple ! Pourquoi pas ? dit Mme Oginska.

— On me juge souvent bien à faux.

— Des envieux, mon cher comte ! Qui en aurait, sinon vous, que toutes les femmes adorent, que la nature a comblé de ses dons ?

— Je vous en prie…

— Mais moi, j’ai toujours pris votre défense.

— Vous êtes trop bonne. »

La portière s’agita avec un léger bruit ; Anitta apparut et disparut immédiatement.

« C’était elle, la petite friponne, murmura Mme Oginska.

— Je vous le demande encore une fois ; que Mlle Anitta ne se doute pas de notre intelligence, dit Soltyk en prenant son chapeau.

— Elle n’en saura rien ; nous sommes tout à fait de votre avis. »

Sur l’escalier, le comte rencontra Zésim. Il lui adressa un regard bref et hostile que le jeune officier soutint fièrement. Pendant qu’il suspendait son manteau dans l’antichambre, Anitta arriva en toute hâte.

« Je crois que vous venez trop tard, lui dit-elle tout bas ; si je ne me trompe pas complètement, Soltyk vient de demander ma main. »

Zésim haussa les épaules avec toute la présomption de la jeunesse.

« Il ne nous est pas permis de nous laisser intimider, Anitta, dit-il ; moi je ne faiblirai jamais, par conséquent tout est en votre main. Du moment que vous opposez votre volonté à celle de vos parents, nous n’avons rien à craindre. Soltyk, tel que je le connais, est trop orgueilleux pour essayer de vous obtenir, s’il sait que votre cœur appartient à un autre, et non à lui.

— Je ne sais pas, répondit Anitta, je ne pressens rien de bon,