Page:Sacher-Masoch - La Pêcheuse d’âmes, 1889.djvu/115

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
111
LA PÊCHEUSE D’AMES.

comme il était venu. Une fois dehors, il se glissa le long des maisons pour ne pas être aperçu d’Anitta, et ne se sentit en sûreté qu’après avoir tourné dans une rue voisine et populeuse, où il se perdit dans la foule.

À midi sonnant, l’équipage du comte Soltyk s’arrêtait devant le palais des Oginski. Après avoir déposé sa précieuse pelisse de zibeline dans l’antichambre, le comte, en toilette parisienne des plus élégantes, entra dans le salon, où M. Oginski vint à sa rencontre. Quelques instants plus tard, Mme Oginska arrivait avec un grand froufrou de jupes. On s’assit, on échangea quelques formules de politesse ; puis il y eut un moment de silence pénible dans le magnifique salon, tout rempli d’un parfum distingué. On n’entendait que le tic-tac monotone de l’antique horloge enfermée dans son énorme gaine de bois et la chanson des flammes qui dansaient dans la cheminée à l’italienne.

— Je suis venu vous voir aujourd’hui pour une affaire sérieuse et importante, dit enfin le comte, sérieuse surtout pour moi, puisque le bonheur de ma vie est en jeu. J’aime votre fille et je viens vous demander sa main.

— Je sens tout l’honneur que vous me faites, répondit Oginski en s’inclinant, une alliance entre nos deux familles dépasse mes espérances les plus ambitieuses, et je ne pouvais pas m’attendre…

— Pardonnez-moi, M. Oginski, l’honneur est tout pour moi.

— Je vous en prie… mon cher, mon bien cher comte, je suis vraiment confus…

— À quoi bon tant de paroles ? dit Mme Oginska en interrompant son mari, il suffit, nous sommes heureux de vous donner notre Anitta. »

Soltyk s’inclina respectueusement, prit la main de Mme Oginska et la baisa.

« Mais où en êtes-vous avec notre fille ? reprit Oginski, je pense que vous vous êtes quelque peu entendus ?

— Au contraire, répondit le comte, je n’ai encore fait aucune espèce d’aveu à Mlle Anitta, et je désire que pour le moment, la chose reste entre nous.

— Ce sera comme vous le désirez.

— J’ai votre consentement ; tout le reste ira de soi-même ; accordez-moi seulement la permission de me rapprocher de Mlle Anitta.

C’est trop juste, dit Mme Oginska, il vous faut avoir l’oc-