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LA PÊCHEUSE D’AMES.

Dragomira la grande salle remplie de la fumée du tabac et de l’odeur de l’eau-de-vie ; un vieux juif y disait sa prière. Elle la conduisit dans une jolie chambre propre, où il y avait un lit, une glace pendue à la muraille et un coffre contenant les vêtements envoyés par Sergitsch.

Bassi alluma une bougie et laissa seule Dragomira qui changea rapidement de costume. Elle n’était pas encore prête, qu’elle entendit le pas d’un cheval et bientôt après la voix de Pikturno qui retentissait dans la salle du cabaret. Bassi entra en se glissant par la porte entr’ouverte, et fit un signe à Dragomira en mettant en même temps un doigt sur ses lèvres.

« Il est là, murmura-t-elle, je le conduis dans la chambre voisine ; vous pourrez voir tout ce qui se passera par une petite fente de la porte, mais n’oubliez pas d’éteindre d’abord la bougie. »

Dragomira répondit par un signe de tête, et la juive se retira. Dragomira acheva sa toilette, jeta un regard dans la glace et chargea son revolver.

L’infirmière était devenue une belle et audacieuse amazone.

On entendit des pas dans la chambre à côté, puis la voix du jeune gentilhomme, et de petits rires étouffés. Dragomira éteignit sa bougie, s’approcha de la porte sur la pointe des pieds et appliqua son œil à la fente.

Elle voyait d’un coup d’œil la petite salle presque tout entière. Cette salle avait deux issues, l’une conduisant dans la chambre où elle se trouvait elle-même, l’autre dans la grande salle du cabaret. La fenêtre donnait sur la cour, et avait son épais rideau vert tiré. Au milieu de la paroi que Dragomira voyait en face d’elle, était un vieux divan recouvert d’une étoffe rouge et d’où le crin sortait en différentes places. D’un côté du divan se trouvait une armoire sur laquelle étaient rangés différents flacons de fruits confits ; et de l’autre une commode portant une petite pendule et quelques figurines de porcelaine. Près de la fenêtre, il y avait encore une chaise, c’était tout.

Bassi Rachelles, les mains dans les poches de sa jaquette de fourrure, allait et venait avec un sourire moqueur sur ses lèvres charnues, pendant que Pikturno, à cheval sur la chaise, la regardait d’un air étonné.

« Vous n’allez pas vous figurer au moins que je suis amoureuse de vous, dit la juive. Vous m’avez demandé un rendez-