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LA FEMME SÉPARÉE

chevalier errant sans amour », n’est-ce pas ? « c’est un corps sans âme. »

Comme don Quichotte, il avait, tout enfant, dévoré un grand nombre de légendes, de romans fantastiques, et il s’était créé un idéal.

Et plus sa fiancée lui semblait douce, vertueuse et bonne, plus il sentait le besoin de se donner une fois tout entier à une femme corrompue, à un être dont la beauté, l’esprit et la perversité le domineraient, et il cherchait cette femme qui lui était apparue si souvent lorsqu’il était très jeune, et qui le ravissait avec ses boucles soyeuses, ses yeux de flamme et l’hermine princière où elle était blottie.

Cet idéal était le plus dangereux de ses rêves. Il se racontait à lui-même des romans dont il était le héros, dont elle était l’héroïne, héroïne qui n’existait que dans son imagination, et qu’il faisait vivre, de temps en temps, par l’immortalité de ses poèmes.

Pour son malheur, pour le mien, Julian trouva son idéal incarné en moi.

— En vous ! interrompis-je Mme de Kossow, très agité.

Et je la regardai avec persistance. Mais non, elle n’avait pas la tête d’une Agrippine.

— En moi, répéta-t-elle avec un sourire. J’étais belle, je pouvais aussi être despote. Julian souffrait