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LA FEMME SÉPARÉE

l’idéalisme ne fleurit pas dans l’opulence. Si le héros de Cervantes vendait ses champs pour se procurer des romans de chevalerie, Julian dépensait tout son avoir pour se procurer des livres. Oui, je le savais, il faisait des dettes, lisait jour et nuit, et se remplissait la tête de mille récits de batailles, de duels, de blessures, d’amour, de souffrance, et de mille autres folies.

Et lui aussi, comme il aurait aimé délivrer la société de l’injustice qui pèse sur elle ! Lorsqu’il savait quelqu’un opprimé, le sang lui montait aux joues, et il tremblait de tous ses membres lorsqu’il ne pouvait lui venir en aide.

Sa maison était des plus prosaïques, comme celle de don Quichotte. À la place d’une femme de charge et de sa nièce, Julian avait auprès de lui une vieille tante grondeuse, une tendre mère, et une fiancée aimante, trio qui tricotait des bas du matin au soir, et auprès desquelles il s’ennuyait indubitablement. Comme prêtre et barbier, quelques fonctionnaires stupides, quelques professeurs, des comédiens d’une maigreur transparente, et des journalistes sans journaux ; voilà tous ses amis. Vous jugez si cette société lui convenait ! Il rêvait des aventures, tout ce qui touchait à l’extraordinaire, et avant tout, — bien qu’il se fût déjà choisi une compagne, — il rêvait une femme de laquelle il pourrait s’éprendre, « car un