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LA FEMME SÉPARÉE

de mon existence, et je me sentis rougir sous le regard de l’être noble qui me parlait.

— Et l’autre, le vrai idéalisme ? dis-je après un instant de silence.

— Le vrai idéalisme, dit Julian, réchauffant de plus en plus mon âme sous la lueur douce de son regard honnête, le véritable idéalisme éclaire le monde et le fortifie. Le vrai idéaliste cherche surtout à agir d’une façon idéale. Comme il se sent faible, enclin au mal et incapable d’y résister, il considère les manquements des autres sans colère, sans mépris ; oui, il leur pardonne, il cherche à leur venir en aide, et se réjouit de la plus petite qualité qu’il découvre en eux. Il est comme Jésus, dans cette parabole orientale, qui va se promener avec ses disciples et trouve un chien mort sur la route. Et comme l’un trouve à redire à son poil, l’autre à sa couleur, l’autre à la forme de sa tête, il dit, avec un doux sourire : « Regardez, il a de belles dents ! »

— Le véritable idéaliste voit le monde aussi mauvais, les hommes aussi lâches que l’être le plus prudent et le plus expérimenté ; seulement, au lieu de tirer parti à son seul avantage des vices d’autrui, il les combat avec un saint zèle et de toutes ses forces, même lorsque son dévouement humain est aussi inutile que celui du pauvre don Quichotte.