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LA FEMME SÉPARÉE

Il s’assit vis-à-vis de moi. Son visage respirait tant de grâce et de bonté !

Nous prîmes le thé, nous mangeâmes, nous causâmes. Le champagne vint. Je trinquai avec Julian, gaiement. Je chantai comme autrefois de folles chansonnettes, celles qu’il aimait ; je posai à plusieurs reprises, étourdiment, la pointe de mon pied sur le sien. Mais il resta froid et sérieux comme à l’ordinaire.

Et, croyez-moi, quand je vis que toutes mes coquetteries étaient vaines, qu’il restait indifférent à ma beauté et à mes charmes, je me repris à l’aimer, cet homme, à le désirer, à l’aimer avec passion. Et je voulais le séduire, à tout prix le ramener à mes pieds, le rendre mon esclave, ne fût-ce que pour une heure.

Je fis un signe à Wally. Elle nous laissa seuls.

Je bus avidement quelques verres de champagne, puis je me plaignis de la chaleur, je me levai, et tout à coup, je m’assis sur les genoux de Julian et l’enlaçai bien fort de mes deux bras.

— Tu t’agites trop, mon enfant, me dit Julian.

Il n’y avait pas trace d’ironie dans sa voix, mais quelque chose de glacial qui me dégrisa. Mon honneur me parut menacé si je ne ressaisissais pas son amour, si je ne le ramenais pas à frémir sous mon regard.