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LA FEMME SÉPARÉE

» — Tu as brisé mon cœur en deux, Suleika, m’écriai-je, et l’un des deux morceaux t’appartient.

» — Je ne veux pas ton cœur ; je te veux, toi ! s’écria-t-elle impatientée. Viens ! viens ! Oh ! quand je t’aurai garrotté dans ma voiture, nulle puissance humaine ne pourra te sauver.

» Elle me jeta un regard haineux et féroce.

» — Qui es-tu ? demandai-je, frappé de sa violence, et que veux-tu faire de moi ?

» — Tu le sauras plus tard, viens.

» — Demain, balbutiai-je.

» — Demain, répéta-t-elle avec un rire de démon. Mais demain tu n’existeras plus pour moi. Je veux te posséder aujourd’hui même. Demain, tu ne seras pour moi qu’un jouet qu’on brise quand on en a assez. Allons, décide-toi.

» Je cachai mon visage entre mes mains et je me mis à rêver de cette aventure bizarre ; il me semblait voir au loin la tête pâle, au regard douloureux, de ma chère Anna. Oh ! me disais-je, pourquoi n’est-elle pas comme cette femme-là ?

» — Je pars, me dit tout à coup le beau démon qui m’avait à moitié séduit, en me lançant un regard moqueur. Me suis-tu ?

» — Non, répondis-je d’une voix sourde.

» Ma tête retombe inerte sur ma poitrine. Elle me regarde d’un air étrange, puis elle pousse cet éclat