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LA FEMME SÉPARÉE

Le jour où Julian repartit pour Lwow eut lieu une scène que je n’oublierai pas. Nous déjeunions en compagnie, dehors, sur la pelouse, lorsqu’une pluie d’orage tomba subitement, et nous dûmes nous réfugier en courant sous une vérandah. Il s’y trouvait une Hébé en pierre dont toute la toilette consistait en un diadème. Jamais la nudité de cette copie d’un antique superbe n’avait offusqué personne.

Les enfants jouaient à ses pieds. Sur les bancs qui l’entouraient, étaient tricotés les bas les plus vertueux qu’on puisse rêver.

Un jeune officier malicieux eut l’idée d’étendre sur les épaules de cette Hébé la mantille d’une dame, qui était mouillée ! Aussitôt, toute la société poussa les hauts cris, une jeune fille se voila la face ; l’épouse du général prit son lorgnon et le laissa retomber en s’écriant : « Fi donc ! » Tout ne rentra dans l’ordre que lorsque la mantille fut enlevée. Julian me regarda. Je lui fis signe de la tête. Nous nous étions compris.

Mme de Kossow secoua légèrement la cendre de son cigare.

— La chute des feuilles, qui jusque-là m’avait toujours attristée, continua-t-elle au bout d’un moment, me remplit cette fois d’une douce joie. Il me semblait que tout bourgeonnait autour de moi, pour l’épanouissement de mon bonheur. Avant de repartir