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LA FEMME SÉPARÉE

cette force de la nature que mes coquetteries avaient éveillée et que je ne pouvais plus maîtriser ; je me vis, dans ses bras, planant au-dessus d’un abîme, j’étais inquiète, je ne m’appartenais plus, et je me laissais aller, avec un frisson d’extase.

— Tu es à moi, dit-il d’un air sombre. Tu seras à moi… aujourd’hui, sans retard.

Il me disait pour la première fois « tu ».

— Oui, certes, à toi pour toujours, murmurai-je. Je t’appartiens depuis de longs mois déjà ; je me considère comme ta possession ; mais toi, tu m’as laissée errer sur ta route, comme un objet sans valeur.

— Et…

Il baissa la tête.

— Pas ici, à Lwow.

— Mais comment…

Il hésita, et me regarda d’un air candide. Je me mis à rire. Il comprit enfin, ce morceau de bois. Et il ne retourna pas à la maison. Il laissa repartir Turkul et resta plusieurs semaines auprès de moi. Comme cela, j’eus le temps et l’occasion de m’emparer entièrement de son imagination poétique. Tous les matins, je sautais en selle et je partais à cheval, escortée de Julian, à travers bois. Et lorsque nous étions bien loin, dans la verdure, que