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LA FEMME SÉPARÉE

Je courus à sa rencontre, toute rayonnante, et je lui tendis les deux mains en le saluant.

Nous restâmes un instant sans témoins. Je l’attirai à moi et je l’embrassai.

— Pourquoi ne m’avez-vous pas écrit ? me demanda-t-il d’une voix altérée.

— J’ai eu le temps de réfléchir, lui répondis-je. Et je ne veux pas charger ma conscience de la responsabilité de votre séparation d’avec Élisa. Vous pouvez vous imaginer combien j’ai souffert. Du reste, ça ne regarde personne.

L’arrivée de mon mari interrompit notre tête-à-tête. Julian nous avait amené un de ses amis, Paul de Turkul, un jeune homme charmant, dont j’avais fait la connaissance chez les Romaschkan. Je comptais sur lui pour m’aider dans mon projet. Il était spirituel, aimable, et avait un noble cœur ; mais, comme il était très jeune, il s’avançait dans le monde avec des bottes de sept lieues. Un mélange incroyable de bonté, de rudesse, d’égoïsme et d’immense générosité, que ce garçon. Pour quelqu’un qu’il honorait de son affection — et il en honorait très peu de gens — il était prêt à tout, il eût bravé l’eau et le feu. Fils d’un général et d’une mère nerveuse et aristocratique, il avait dû renoncer à sa vocation pour la carrière dramatique, où il aurait, du reste, montré un talent réel. Maintenant, sans le sa-