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LA FEMME SÉPARÉE

ans auparavant, alors qu’elle jouait encore à la poupée et ne lisait guère de romans. Maintenant, elle était de retour chez son père ; on lui faisait voir le monde. Julian n’avait jamais fait attention à elle, bien qu’il fréquentât souvent la maison de la tante où elle avait vécu.

Le hasard voulut qu’ils se rencontrassent tous deux dans l’embrasure d’une fenêtre, tandis que les couples tourbillonnaient autour d’eux et que mon danseur me reconduisait tout près dans un fauteuil. Un mince rideau nous séparait. J’entendis ce que la naïve enfant disait à Julian. Elle lui ouvrait son cœur avec confiance, lui racontant ses impressions, avec un franc sourire. Elle s’arrêtait parfois, comme si un aveu lui brûlait les lèvres, et elle baissait la tête.

— Et vous ne m’avez pas regardée une seule fois, dit-elle enfin. Je le comprends. Que suis-je à vos yeux, moi, une petite fille insignifiante ; vous un écrivain en renom, un homme de génie ? Mais si vous saviez comme je me suis réjouie de vous retrouver ici ! Vous avez été mon idéal ; je puis bien vous l’avouer maintenant : lorsque vous rendiez visite à ma tante et que je portais des robes courtes et de longues tresses, comme je vous aimais alors, et comme j’écoutais avidement tout ce que vous racontiez ! Vos paroles avaient pour moi quelque