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L’OURS AMOUREUX.

sur son dos, et tient la corde en manière de guides. Une bande de paysannes le rouent de coups, et la foule entière l’escorte, poussant des clameurs sauvages et éclairant avec des torches enflammées ce cortège grotesque.

Chaque fois que le malheureux s’arrêtait, à bout de forces, gémissant et succombant sous sa charge, la séduisante écuyère l’excitait par ses coups de pied et ses rires moqueurs, et toute la bande se ruait sur lui, armée de gourdins et de kautschuks, jusqu’à ce qu’il eût repris sa marche traînante et embarrassée.

C’est ainsi qu’ils arrivèrent devant l’église. Là, quatre hommes s’emparèrent de l’ours, plus mort que vif, après l’exercice qu’il venait de faire, le soulevèrent, et l’emportèrent dans la nef, suivis des assistants en délire. On n’écouta ni ses cris, ni ses prières. On le jeta dans la vasque, dont on scella solidement le couvercle.

Le lendemain seulement, il fut délivré par le sacristain.

Il garda le lit pendant plusieurs jours, en proie à une fièvre ardente. Le hasard voulut que, lors de sa première sortie, il se rencontrât nez à nez avec la justicière, la belle paysanne. De loin déjà, celle-ci se mit à rire.

« Dieu me récompensera, j’espère, dit-elle ironiquement et les lèvres pincées, du service que j’ai rendu à Votre Grâce, à notre bienfaiteur. Je vous ai délivré de votre métamorphose ; par la même occasion, j’ai sauvé votre âme. Maintenant, il n’arrivera plus qu’un prêtre soit changé en bête.

Le curé, honteux, baissa les yeux, sans répondre. Le récit de son aventure fit le tour de la contrée. Peu de temps après, il fut transféré dans un autre diocèse.


FIN