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ALDONA.

Aldona bondit. Elle fit un geste comme pour le retenir ; mais la parole expira entre ses lèvres, et la main qu’elle avait étendue vers lui retomba inerte sur le divan.

Un moment encore la jolie blasée s’abîma dans ses reflexions. Puis, tout agitée, elle se mit à arpenter la chambre, les bras croisés sur la poitrine. Tout à coup elle frappa du pied et secoua vivement le cordon de la sonnette. À cet appel, la femme de chambre accourut.

« Mon traîneau, ma pelisse ! » commanda Aldona d’un ton bref et impérieux.

Ses gens avaient l’habitude d’une prompte obéissance, car au bout de quelques minutes la camériste lui annonça que l’équipage était prêt, et l’aida, après l’avoir débarrassée de sa kazabaïka, à s’envelopper dans ses riches fourrures. Aldona posa sur sa tête un haut bonnet cosaque de forme ronde, et descendit rapidement l’escalier.

« Je sors seule, » dit-elle d’un air sombre. Elle monta dans le traîneau, s’assit au milieu des coussins, se couvrit des peaux qui le garnissaient, et saisit les rênes.

« Mais, madame… fit observer le vieux cocher en se grattant la tête avec embarras… vous ne devriez pas… seule…

— Silence ! cria Aldona.

— La contrée est remplie de loups et d’autres bêtes fauves que la faim a chassés des montagnes… » continua le vieillard.

Aldona le regarda et donna l’ordre à un domestique de lui apporter ses pistolets qu’elle passa dans sa ceinture.

« Il faut bien que je parle, reprit le cocher… un malheur est si vite arrivé ! Pas plus tard qu’hier, de l’au-