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ALDONA.

tion. Ces dames, dont les mères ne connaissaient rien de comparable à une table succulente, à de riches toilettes, à de nombreux adorateurs, ou tout au plus à quelque lecture légère, qui faisaient fouetter sans pitié leurs serfs, lorsqu’elles ne s’amusaient pas à les battre elles-mêmes, eh bien ! ces dames ont entrepris, dans les contrées où il n’y a pas d’écoles, l’éducation des enfants pauvres. Les docteurs font-ils défaut ? Elles s’instruisent, elles suivent des cours aux universités, font une étude approfondie de la médecine, et obtiennent la surveillance des hôpitaux de la campagne. Je ne vous les cite pas comme des héroïnes, et ne vous engage nullement à les imiter, mais je trouve dans leur œuvre un but noble et enviable. Imaginez pour la femme, à côté de ses devoirs de ménagère et de mère de famille, qu’elle néglige si fréquemment, une plus belle vocation que celle de médecin ou de professeur du peuple, cette dernière base de la société.

— Je vois que vous voulez à tout prix faire de moi une étudiante, dit en riant la jeune et jolie femme, allumant avec une négligence inimitable une cigarette à la flamme de la bougie.

— Peut-être, fit Igar, car avant d’entreprendre l’éducation des autres, il est nécessaire de sortir soi-même des nuages qui voilent notre intelligence ; pour soigner un malade il faut se bien porter. Surtout, je voudrais vous voir prendre la vie plus au sérieux, et introduire dans votre cœur ce baume si doux qu’on appelle l’amour. »

À travers ses paupières demi-closes, Aldona lança à son ami un regard moqueur.

« Vous avez beau me narguer, s’écria-t-il. Ce que j’ai dit, je le maintiens. Vous devez aimer.