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ALDONA.

Aldona ne bougeait pas. Elle n’entendait ni les cris des chiens, ni les craquements du bois sec dans l’âtre, ni le chant du grillon blotti sous quelque dalle usée. Sa lecture l’absorbait tout entière. Elle ne leva point les yeux lorsque des pas retentirent dans le vestibule et qu’un homme entra dans la chambre.

Il s’accordait si parfaitement avec la jeune femme couchée devant lui, qu’on l’eût cru créé exprès pour elle. Il n’était pas beau cependant, et ne possédait pas ce cachet aristocratique que décelait chacun des mouvements de la jolie lectrice ; mais son aspect comme toute sa personne révélaient les qualités qui distinguent le vrai gentilhomme : un esprit fier et indépendant et un caractère solide.

Igar Manief habitait une propriété du voisinage. Sa taille était au-dessus de la moyenne. Ses membres, larges et bien proportionnés, ne le rendaient ni lourd ni disgracieux.

Malgré son nez fortement busqué, son menton rond aux lignes sévères, et ses sourcils sombres et touffus, son visage bistré respirait beaucoup de bienveillance. Ses grands yeux clairs étincelaient de vivacité ; quand il parlait, personne ne pouvait résister au charme de sa voix et à ses raisonnements clairs et décisifs.

« Bonsoir ! » commença-t-il, après avoir arrêté un moment sur Aldona un regard d’affectueuse sympathie.

La jolie femme tressaillit.

« Oh ! c’est vous, Igar ! » balbutia-t-elle toute confuse, en glissant son livre dans la poche de sa kasabaïka. Elle se leva, s’avança à sa rencontre, et mit sa petite main froide dans celle qu’il lui tendait.

« Je vous dérange, madame, répondit Igar. Pardonnez-moi. Par bonheur, ma faute peut se réparer. Je