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À KOLOMEA.

le sable tiédi par le soleil, mâchonnant une pincée de tabac. Un sourire amical éclaire ses rides à la vue des paysans. Elle les suit longtemps du regard et les salue de son chef branlant.

Devant l’église de bois, où la mousse dessine de vertes et capricieuses arabesques, se dresse une énorme pierre grise couverte de caractères hiéroglyphiques. Le cortège s’arrête. Iéwa s’avance avec majesté, prend sa couronne et la dépose sur la pierre. Au même instant arrive le pasteur revêtu de son aube et tenant un goupillon à la main. Il bénit d’abord la couronne, puis les moissonneurs.

Le brave homme porte des lunettes, et ses cheveux sont relevés derrière ses oreilles, ce qui lui donne l’air d’une chouette. Iewa reste debout, les yeux baissés. Les paysans s’agenouillent autour d’elle. Elle prend sa guirlande et la remet sur sa tête.

La cérémonie terminée, on s’achemine vers le logis du juge.

Il attend devant sa porte l’arrivée des villageois, un coq sous le bras. Il lui lie les pattes et l’attache dans la couronne d’épis sur la tête de Iéwa. Le malheureux animal qui se croit libre, essaye de prendre la volée et chante à gorge déployée ; heureux présage pour les récoltes prochaines.

Les faucheurs poussent des clameurs frénétiques. Les musiciens jouent avec une verve entraînante. Le juge et sa femme circulent dans les rangs, et trinquent avec chacun. Ils se joignent ensuite à la procession, qui se dirige vers la seigneurie.

Les chants recommencent et remplissent la plaine de leurs ondes sonores. Les paysans font entendre un joyeux « Evoë » russe ; le coq crie de toutes ses forces. Derrière le rideau sombre de la forêt surgit la grosse face cuivrée de la lune.