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À KOLOMEA.

rouges noués sur les tempes, s’inclinaient en travaillant, dans les épis, comme de gros coquelicots.

Au bord du champ, il y avait une grande cruche d’eau couverte d’une miche de pain noir entamée. Plus loin, quelques hommes dressaient, avec une gravité toute septentrionale, des gerbes qu’ils appuyaient les unes sur les autres, comme on fait avec les fusils, en temps de pluie.

Des gamins s’en servaient pour jouer à cache-cache. L’un d’eux s’y blottissait et criait : « Je suis un ours. Voici ma tanière. » Aussitôt ses compagnons accouraient, cherchaient à l’en faire sortir à coups de gaule et criaient à tue-tête. Il arrivait alors qu’un faisceau de gerbes de blé s’écroulait, en entraînant d’autres dans sa chute, comme des châteaux de cartes, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’il y en eût une file à terre. Une voix forte rappelait à l’ordre les polissons qui s’empressaient de réparer le dommage, puis se coulaient, entièrement nus, dans le sable brûlant de la route, où ils se racontaient des histoires.

À quelque distance, je remarquai une moissonneuse toute jeune. Ses pieds poudreux, ses hanches arquées, sa gorge arrondie étaient d’une forme parfaite. Sa chevelure, ramassée en une grosse natte, encadrait sa tête intelligente et fine. Elle avait des yeux bleus et pensifs, et un nez délicat, légèrement busqué. Elle épongeait avec la grosse manche de sa chemise la sueur qui baignait son front et ses joues. Puis elle fixa sa faucille dans le cordon de son tablier, et se coucha entre les épis.

C’était là que reposait son enfant.

Elle l’attira sur son sein, s’assit avec lui à l’ombre d’une haie d’aubépine, et le berça avec amour en l’égayant par ses douces paroles et par ses baisers, tantôt