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MAGASSE LE WATACHEKO.

dre envie ? Il est, dans les montagnes, comme l’empereur sur le Danube, comme le czar à Moscou. »

Elle ouvrit le bahut, au couvercle duquel était adapté intérieurement un miroir ébréché, entouré de portraits bibliques, s’agenouilla sur le sol, éleva la glace à la hauteur de son visage et s’y contempla avec une joie enfantine. Puis elle alla s’asseoir sur le seuil de la cabane, les mains jointes sur ses genoux, s’appuya contre le panneau de chêne de la porte, et entonna de sa belle voix grave, dont les notes allaient se perdre dans la plaine couverte d’ombre, ce chant populaire si profondément triste :

« Ma tête est pesante, et mon cœur soupire après toi, bien-aimé ! »

Tard dans la soirée, lorsqu’il fit complètement nuit, M. Adam, l’abbé et le Cosaque, à cheval, accompagnés des gens du château et de quelques paysans armés de fléaux, quittèrent la maison, dans l’intention de s’emparer de Magasse, qui, suivant les nouvelles apportées des montagnes par le prêtre au retour de son expédition, devait se trouver dans la chaumière de Wera.

Madame Kauwigka, pelotonnée dans un châle, se tint sur l’escalier seigneurial et continua de les encourager en agitant son mouchoir jusqu’à ce qu’ils eussent disparu dans l’obscurité.

Le petit coucou de bois du réfectoire avait annoncé plusieurs heures depuis leur départ. Minuit approchait.

Madame Kauwigka jeta sur une table le roman français qu’elle était en train de dévorer, se leva, bâilla et arpenta la salle, attendant avec impatience qu’on lui ramenât, courbé sous les fers, le héros des montagnes Noires. Le feu de la cheminée brûlait sans bruit. Le perroquet dormait. Dehors régnait un silence profond, presque solennel.

Madame Céline s’assit au piano, en effleura de ses doigts