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RÉCITS GALLICIENS.

autant de calme que le nôtre, l’arme au bras, contre une batterie ennemie. Comprenez-vous ?

» Ou bien encore ceci : J’arrive dans un régiment, en Italie, immédiatement après l’affaire de Novare. Nous étions en pays ennemi, et, quoique la paix fût à peu près faite, la surveillance était aussi nécessaire que pendant la guerre. Nous étions entourés d’espions et d’habitants capables de tout. J’eus à disposer les factionnaires dans une petite métairie. À dix heures, je conduis mon homme sur la redoute pour relever la faction. C’était une recrue. Je lui recommande, dès que quelque chose lui paraîtra suspect, de crier trois fois : Qui vive ? et, si l’individu interpellé ne s’arrête pas court, de faire feu.

» Très bien ; mais voilà qu’au bout d’une demi-heure ma recrue revient en courant.

— Misérable païen ! pourquoi as-tu quitté ton poste ?

— Monsieur le caporal, il y a quelqu’un qui monte en rampant le long de la colline.

— L’as-tu interpellé ? dis-je en prenant mon fusil et en forçant mon homme à marcher devant moi.

— Trois fois, comme vous m’en avez donné l’ordre,

— Alors, pourquoi n’as-tu pas tiré ?

— Parce que chaque fois que je l’avertissais ou que je couchais en joue, il disparaissait dans l’herbe.

» Le fait est qu’une fois arrivés, nous apercevons une masse noire se glissant dans l’herbe, tantôt debout, tantôt à plat ventre. — Qui vive ? criai-je. — Pas de réponse, mais l’ombre s’évapora. — Qui vive ? — Elle se relève, mais sans articuler un mot. — Qui vive ? — La forme suspecte s’aplatit sur le sol. « Si c’était un espion ? » murmura la recrue. Je vise, et au moment où le personnage se redresse, je fais feu. Il disparaît dans un tourbillon de fumée.