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À KOLOMEA.

traversions un champ de carottes, il se retourna brusquement vers moi, et me dit :

« Pardon, je ne m’appelle pas Holopherne, mais Birkewitz. »

Je le regardai tout surpris.

« Vous êtes étonné, reprit-il, que je me laisse appeler de l’autre nom sans protester ; mais comme il ne fait aucun tort à l’effet moral… Le reste de la phrase se perdit dans un haussement d’épaules.

— Mais ce nom, d’où vous vient-il ?

— Hum ! une curieuse histoire. — Et il sourit comme un homme qui possède quelque charmant secret.

— Permettez-moi, puisque je suis en train de vous questionner, de vous demander ce que vous entendez, au sens propre, par l’effet moral ? »

Holopherne plissa son front et étendit ses mains en avant comme un islamite qui prête serment.

« L’explication n’est pas commode, dit-il, la définition n’ayant jamais été mon fait. J’aime mieux vous citer quelques exemples. Ainsi, j’étais caporal, et je traversais sous Schlick le défilé de Dukla, pendant la guerre de Hongrie. J’arrive juste pour la bataille de Kaschau. La plupart de nos soldats étaient des recrues. Une bombe traverse mon bataillon et abat cinq hommes. Vous comprenez, c’était là un effet moral. Si bien que tout le bataillon courut se mettre à couvert derrière une immense grange. Arrive le colonel Podehaïgski. Il harangue les troupes et les ramène au feu. Voilà pour le coup un excellent effet moral. Après la bataille, un vieil officier de Napoléon, que nous conservions prisonnier, qui avait servi sous bien des chefs et fait bien des campagnes, nous assura que jamais il n’avait vu un bataillon reculer avec