Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/102

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
92
À KOLOMEA.

épaules de marbre, se répandaient en pluie étoilée. Elle fixa sur nous deux grands yeux noirs, rayonnants et railleurs.

« Dieu sauve ma pauvre âme ! cria le garde-forêt. Fermez les yeux. — Et il m’entraîna. — Fuyons ! répétait-il d’une voix saccadée. Fuyons, ou c’est fait de nous. »

Un second éclat de rire, plus satanique encore que le premier, résonna aigrement à nos oreilles.

Je suivis le garde-forêt. Une puissance inconnue, que je ne pouvais m’expliquer, me donnait des ailes. Nous traversâmes, toujours courant, des taillis, des marais, des pâturages. Arrivés dans un verger, nous nous y arrêtâmes pour reprendre haleine.

« Tu n’es qu’un âne ! dis-je pour conclure.

— Mieux vaut être un âne qu’un damné.

— Fuir devant une jolie femme !

— Oh ! oui, elle était jolie, fit le garde-forêt, mais elle n’appartient pas à la terre. C’est la letawitza, l’étoile filante qui a revêtu une figure humaine. Vous n’avez donc pas remarqué sa chevelure ? Est-ce qu’on n’aurait pas dit une traînée d’astres flottant à la surface de l’eau ?

— Je vais retourner là-bas. Il faut que je voie cette femme.

— Êtes-vous donc possédé du diable ? dit le garde-forêt pétrifié ; vous poseriez cent ducas devant moi, vous m’offririez le monde entier que je ne bougerais pas d’ici.

— Mais si je t’offrais une chope d’eau-de-vie, m’accompagnerais-tu ?

— De l’eau-de-vie ! de quelle eau-de-vie ? Pas de la mauvaise eau-de-vie de grains, j’espère ?