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est généralement surfait. Le Remorqueur est inégal et déclamatoire : des puérilités, des lourdeurs, des gaucheries déparent trop souvent le « chef-d’œuvre » de Weustenraad. N’importe, ce poème mérite toute notre attention. Le « remorqueur » y est présenté comme un agent de progrès, de civilisation, de liberté, comme le héraut d’un avenir de paix et de justice ;[1] pour tout dire, l’auteur attribue à l’humble locomotive un rôle presque divin. Ne l’appelle-t-il pas quelque part le « moderne Messie » ? Evidemment, cela nous fait sourire, et nous trouvons que les prévisions du poète pèchent au moins par excès d’idéalisme. Mais il n’avait pas tort, semble-t-il, de prévoir d’immenses changements. Les chemins de fer n’ont-ils pas contribué dans une incalculable mesure à l’évolution, morale autant que matérielle, qui transforme le monde depuis 1835 ?

On souhaitera peut-être de lire un extrait du Remorqueur. J’en citerai trois strophes, qui, malgré maintes imperfections de détail, sont d’un beau mouvement.

Marche, ô puissant Athlète, et, sous des cieux tranquilles,
Par des rubans d’acier va relier les villes,
Fleurs de granit et d’or d’un bouquet enchanté ;
Des grands fleuves absents, des rivières lointaines
Prolonge l’embouchure au sein d’arides plaines,
Surprises tout à coup de leur fertilité,
Et peuple, dans ton cours, de nobles édifices,

  1. Ces illusions étaient partagées par Lamartine. V. Doumic, Lamartine, p. 90.