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tous vos entours vont tomber sous sa main : la tente où vous dormez va s’enlever au premier cri d’alerte ; tout ce qu’on a, il le faut ravir ; car la vie, c’est une fuite, et malheur à qui l’ignore !

Si vous pleurez la mort de votre fils, accusez donc l’instant de sa naissance : dès sa naissance, l’arrêt de mort lui fut signifié. C’est à ce prix qu’il vous fut donné ; c’est la loi qui, dès le sein maternel, n’a cessé de le suivre. Il était, comme nous, tombé sous l’empire de la fortune, empire cruel, inexorable, pour subir, selon son bon plaisir, le juste aussi bien que l’injuste. Nos corps sont livrés sans réserve à sa tyrannie, à ses outrages, à toutes ses rigueurs : ceux-ci, elle les condamnera au feu, soit comme supplice, soit comme remède ; ceux-là aux chaînes de l’ennemi ou de leurs concitoyens ; les uns, dépouillés de tout, roulant de vague en vague, après une longue lutte n’échoueront pas même sur un banc de sable ou sur la plage : quelque monstre énorme les engloutira ; et quand d’autres seront consumés par divers genres de maladies, elle les tiendra longtemps suspendus entre la vie et le trépas. Capricieuse et changeante maîtresse, qui n’a de ses esclaves nul souci, elle sèmera en aveugle les châtiments et les récompenses. Pourquoi gémir sur les détails de la vie ? C’est la vie entière qu’il faut déplorer. De nouvelles disgrâces fondront sur vous avant que vous ayez satisfait aux anciennes. Modérez donc vos pleurs, vous surtout qui êtes d’un sexe impatient dans l’affliction ; n’épuisez pas une sensibilité que réclament tant d’autres sujets de crainte ou de souffrance.

XI. Quel est donc, Marcia, cet oubli de votre sort et du sort de l’humanité ? Née mortelle, vous avez donné le jour à des