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X Tout ce qui nous environne au dehors d’un éclat fortuit, postérité, honneurs, richesses, vastes palais, vestibules encombrés de clients qu’on repousse, une épouse illustre, d’un sang noble, d’une beauté parfaite, enfin tous les autres biens qui relèvent de l’incertaine et mobile fortune, tout cela est appareil étranger que l’on nous prête, mais dont rien n’est donné en propre. La scène du monde est ornée de décorations d’emprunt qui doivent retourner à leurs maîtres. Les unes s’en iront aujourd’hui, les autres demain : bien peu resteront jusqu’au dénouement. L’homme n’a donc pas droit de se croire au milieu de ses possessions ; on n’a fait que lui livrer à bail ; l’usufruit seul est à lui, c’est au propriétaire à fixer l’époque de la restitution. Notre devoir, à nous, est d’être toujours prêts à nous dessaisir de ce qui nous fut commis pour un temps indéterminé, et de tout rendre sans murmure à la première sommation. Il n’est qu’un méchant débiteur qui cherche chicane à son créancier. Suivant ce principe, tous nos proches, tant ceux que l’ordre de la nature nous fait souhaiter de laisser après nous, que ceux qui, dans leurs vœux légitimes, désirent nous précéder, doivent nous être chers à ce titre, que rien ne nous promet de les posséder toujours, ni même de les posséder longtemps. Habituez-vous à voir en eux des êtres qui vous échapperont, qui déjà vous échappent : ne regardez tout présent du sort que comme chose soustraite à son vrai maître. Saisissez au passage la douceur d’être pères ; vos enfants aussi n’ont avec vous qu’un éclair de bonheur : pressez-vous de jouir complètement les uns des autres. Qui vous assure même d’aujourd’hui ? ce terme encore est trop long : de l’heure où je parle ? Hâtez-vous : la mort est sur vos pas ;