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combien peu je cherche à vous surprendre, à tendre aucun piège à vos affections, moi qui vous rappelle de si loin vos malheurs. Vous doutez si votre nouvelle plaie se peut guérir : l’ancienne n’était pas moins grave, et je vous la montre cicatrisée. À d’autres les molles complaisances ; moi, j’ai résolu d’attaquer de front vos chagrins ; vos yeux sont fatigués et bientôt épuisés par les larmes que fait couler l’habitude, excusez ma franchise, plutôt encore que le regret : j’arrêterai ces larmes, si vous voulez aider à votre guérison ; je les arrêterai, dussiez-vous la repousser, dussiez-vous retenir et embrasser une douleur que vous conservez comme vous tenant lieu de ce fils auquel vous l’avez fait survivre. Car enfin, quel en serait le terme ? On a tout essayé, tout épuisé en vain, les représentations de vos amis, l’ascendant de votre famille et des hommes les plus distingués ; les belles-lettres, cet héréditaire et paternel apanage, ne sont plus qu’une consolation vaine qui vous distrait à peine un moment, et que votre oreille ne sait plus entendre ; le temps lui-même, remède naturel et tombeau des plus grandes afflictions, est pour vous seule sans efficacité. Dans le cours de trois longues années, votre douleur n’a rien perdu de sa première véhémence ; elle se renouvelle et s’affermit chaque jour ; elle s’est fait un titre de sa durée ; elle est venue au point de croire qu’il y aurait honte à cesser.

Tous les vices s’enracinent plus profondément, si on ne les étouffe en leur germe ; de même ces affections tristes et malheureuses, victimes d’elles-mêmes, finissent par se repaître de leur propre amertume, et par se faire de l’infortune et de la douleur une jouissance dépravée. J’aurais donc sou-