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aussi que votre plume lui élève un monument durable. Car voilà les seules œuvres de l’homme que n’outrage nulle tempête, que le temps ne consume jamais ; tout le reste, entassements de pierres, mausolées de marbre, tombeaux de terre élevés à d’immenses hauteurs, ne prolongent pas de beaucoup notre nom, destinés qu’ils sont à périr comme nous. Il n’est d’indestructible que les souvenirs transmis par le génie : tel est le généreux hommage, le temple que vous devez à votre frère. Consacrer son nom dans vos productions immortelles lui vaudra mieux que des pleurs et de stériles regrets.

Quant à la fortune, sa cause, il est vrai, ne saurait se plaider maintenant auprès de vous ; car tous ses dons, dès qu’elle en a repris un seul, nous deviennent par là même suspects ; je tenterai néanmoins de la justifier, sitôt que le temps aura fait de vous un juge plus équitable : alors vous pourrez vous réconcilier avec elle. En effet, par combien de grâces n’a-t-elle pas d’avance compensé cette première injure, par combien de faveurs ne va-t-elle pas la racheter encore ! Et après tout, ce qu’elle vous a ravi, elle vous l’avait aussi donné. N’armez donc pas contre vous-même votre imagination, n’attisez pas vos douleurs. Si votre éloquence a le pouvoir d’agrandir les petites choses, tout comme de rabaisser et de réduire les grandes aux plus minces proportions, qu’elle réserve maintenant sa vigueur pour un autre usage ; qu’elle s’emploie toute à vous consoler. Et pourtant prenez garde : peut-être ses efforts seraient-ils même superflus : car, on ne s’en tient pas à ce qu’exige de nous la nature : la douleur a son affectation. Jamais, au reste, je ne prétendrai vous interdire toute tristesse. Je sais bien