Page:Sénèque - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome III, 1860.djvu/63

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changer de favoris, ne troublera plus son repos. Calculez bien : on lui a fait grâce plutôt que dommage. Il ne jouira ni de son opulence, ni de son crédit, ni du vôtre ; il ne rendra, il ne recevra plus de bienfaits. Est-il à plaindre d’avoir perdu tout cela, ou heureux de ne pas le regretter ? Croyez-moi, plus heureux est l’homme à qui la fortune est inutile, que celui qui l’a sous la main. Tous ces faux biens si spécieux, qui nous amusent de leurs trompeuses douceurs, trésors, dignités, puissance, et tant d’autres séductions devant lesquelles l’aveugle cupidité humaine s’ébahit, ne se conservent qu’à grand’peine, sont vus avec envie ; ceux même qu’ils décorent en sont accablés : ils menacent plus qu’ils ne servent ; glissants et fugitifs, qui jamais peut les bien saisir ? Car n’eût-on dans l’avenir rien à craindre, une grande fortune à maintenir coûte bien des soucis. Veuillez en croire ceux qui approfondissent le mieux la vérité ; toute vie est un supplice. Lancés sur cette mer profonde et sans repos, dans les oscillations du flux et du reflux, tantôt portés par une subite élévation, tantôt précipités plus bas qu’auparavant, poussés, repoussés sans cesse, nulle part nous ne pouvons jeter l’ancre ; nous flottons suspendus aux vagues ; nous nous heurtons les uns contre les autres, faisant trop souvent naufrage, le redoutant toujours. Au milieu de ces flots si orageux et exposés à toutes les tempêtes, le navigateur n’a de port que le trépas.

Ne pleurez donc pas, comme ferait l’envie, le bonheur d’un frère : il repose ; il est enfin libre, hors de péril, immortel ; il voit que César et tous les rejetons de César lui survivent ; il