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ARGUMENT


Polybe, affranchi de Claude, son secrétaire pour les belles-lettres, et qui partageait avec Narcisse la confiance de cet empereur, avait perdu un frère. Sénèque, alors exilé en Corse, lui adressa cette Consolation, qui, de tous les ouvrages publiés sous le nom de ce philosophe, est celui qui a le plus exercé la sagacité de ses commentateurs, le plus fait triompher la malice de ses ennemis, et le plus excité le zèle et la préoccupation de ces humanistes passionnés qui veulent que tout soit admirable dans la personne et dans les écrits des anciens.

La Consolation à Polybe nous est parvenue incomplète. Tous les manuscrits sont d’accord pour coter du chiffre XX le premier des chapitres conservés, ce qui n’a pas empêché la plupart des critiques d’affirmer sans preuves qu’on n’avait perdu qu’une très-faible partie de cette pièce.

La Consolation à Polybe est-elle digne de Sénèque ? est-elle de lui ? Telles sont les deux questions que se sont faites les critiques. Juste-Lipse n’hésite pas à se prononcer pour la négative sur les deux questions. Il ne peut attribuer à Sénèque les sentiments vils exprimés dans cette pièce ; et, sur quelques rapprochements historiques, il conclut qu’il n’en est pas l’auteur. L’opinion de Diderot est conforme à celle de Juste-Lipse.

Ruhkopf s’est joint à Diderot, et fait voir par différents passages que cet ouvrage fut écrit ou plutôt est censé avoir été écrit par Sénèque au commencement du règne de Claude, c’est-à-dire à l’époque même où Sénèque fut exilé. L’imposteur qui, selon lui, a fabriqué cette Consolation, oublie cette circonstance à la fin de l’ouvrage, où il fait parler Sénèque de la longue durée de son malheur.

Le savant qui, dans l’édition des Classiques latins de M. Lemaire, a commenté Sénèque, n’hésite pas à adopter l’opinion de Juste-Lipse, de Diderot, de Ruhkopf : il prononce que la Consolation à Polybe telle que nous l’avons est l’ouvrage d’un faussaire.

Que cet ouvrage soit peu digne de Sénèque, tel que se le représentent ses admirateurs exclusifs, cela se conçoit ; mais le Sénèque qu’adore la superstition de ses commentateurs et traducteurs n’est pas le Sénèque de l’histoire. Celui qui, pour complaire à Néron et conserver sa vie et ses emplois, devait plus tard faire l’apologie du meurtre d’Agrippine par son fils, a pu, pour obtenir la fin de son exil, sans se montrer dissemblable à lui-même, devenir le flatteur de l’affranchi Polybe et du César Claude.