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douleur. Réfugiez-vous dans son sein avec toutes vos pensées : que vous veuillez vous livrer à la même tristesse, ou y renoncer, elle dissipera ou partagera votre chagrin. Mais si je connais bien la sagesse de cette femme admirable, loin de vous laisser en proie à une douleur inutile, elle vous citera son propre exemple, dont j’ai moi-même été témoin. L’époux le plus cher, notre oncle, auquel elle s’était unie, vierge encore, elle l’avait perdu dans le trajet même ; quoiqu’elle eût à combattre à la fois la douleur et la crainte, elle triompha de la tempête, et, jusque dans son naufrage, elle eut le courage d’emporter le corps de son mari. O combien de femmes dont les belles actions sont perdues dans les ténèbres ! Si elle eût vécu dans ces temps anciens, dont la simplicité savait admirer les vertus, que de bouches éloquentes se seraient disputé l’honneur de préconiser une femme qui, oubliant la faiblesse de son sexe, oubliant la mer, si redoutable même aux plus intrépides, exposa ses jours pour ensevelir son époux, et qui, tout occupée du soin de ses funérailles, ne craignit pas d’être elle-même privée d’un tombeau ! La poésie a partout immortalisé l’héroïne qui se dévoua pour son époux. Eh ! n’est-il pas plus beau d’affronter le trépas pour donner un asile à ses cendres ? L’amour n’est- il pas plus sublime, qui, avec les mêmes dangers, rachète un trésor moins précieux ?

Est-on surpris, après cela, que, pendant seize ans que son mari fut gouverneur d’Égypte, jamais elle ne parut en public, jamais ne reçut chez elle une personne de la province, jamais ne demanda rien à son époux, et ne souffrit la moindre sollicitation ? Aussi cette province, médisante et ingénieuse à ou-