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son aimable enjouement ? quel esprit si rêveur n’interromprait ses méditations pour écouter ce babil charmant qu’on ne saurait se lasser d’entendre ? O dieux, puisse-t-il nous survivre ! Destin cruel, épuise sur moi seul tous tes traits ! Infortunes, qui planez sur la mère et sur l’aïeule, tombez sur moi ! Que tous mes autres parents soient heureux, chacun dans sa sphère ; je ne me plaindrai ni de ma solitude, ni de mon sort. Puissé-je, seul, être la victime expiatoire de toute ma famille, et l’affranchir désormais de tout sujet de larmes !

Serrez bien dans vos bras cette Novatilla, qui va bientôt vous donner des arrière-petits-fils ; Novatilla, que j’avais adoptée, qui tenait à mon sort par des liens si étroits, qu’elle peut, après m’avoir perdu, paraître orpheline, quoiqu’il lui reste un père. Aimez-la pour vous, aimez-la pour moi. La fortune lui a ravi depuis peu sa mère ; votre tendresse peut l’empêcher, sinon d’être affligée de cette perte, du moins de la sentir. Veillez tantôt sur ses mœurs, tantôt sur sa beauté. Les préceptes pénètrent plus avant, quand ils sont imprimés dans l’âge tendre. Qu’elle s’accoutume à vos discours, qu’elle se règle sur vos leçons. Vous lui donneriez beaucoup, même en ne lui donnant que l’exemple. Ce devoir, que vous avez toujours regardé comme sacré, vous servira de consolation. Une âme, dont la douleur est prescrite par la nature, ne peut en être détournée que par la raison ou par quelque occupation honnête. Parmi vos puissants motifs de consolation, je compterais encore votre père, s’il n’était absent. Cependant jugez, en consultant votre cœur, quel est son intérêt ; vous sentirez qu’il est plus juste de vous conserver pour lui, que de vous sacrifier pour moi. Tou-