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ARGUMENT

Le traité du Repos ou de la Retraite du sage forme-t-il un ouvrage séparé dont les vingt-sept premiers chapitres ont été perdus ? Doit-il, à cause de la conformité du titre, être placé à la suite du traité de la Constance du sage ? Cette opinion est soutenue par des autorités dont le poids égale le nombre. Toutefois, sans entrer dans une discussion qui ne conduirait qu’à des doutes, et dont la solution me semble indifférente, je dirai que cette opinion me paraît peut-être moins probable que l’avis de ceux qui regardent le Repos du sage comme un complément de la Vie heureuse.

Dans ce traité, Sénèque débute par cet axiome : Les cirques, par un grand assentiment, nous recommandent les vices. Quand même nous ne voudrions qu’essayer d’un préservatif, la retraite nous assurera par elle-même un profit : isolés nous serons meilleurs. Le repos qui nous rend à nous nous-mêmes en nous séparant de la foule qui dérange notre vie, restitue à notre marche son égalité. Pourquoi le sage irait-il s’embarquer sur un navire fracassé ? Il existe deux sortes de républiques : l’une, immense, et c’est le monde ; l’autre où le hasard nous a jetés : ce sera la république de Carthage ou celle d’Athènes. Le sage peut se borner à servir la grande république, et peut-être n’est-ce que dans la retraite qu’il peut la servir utilement. Toutefois, la nature nous a également formés pour la Contemplation et pour la vie active. L’homme est né pour la contemplation ; la passion qu’il a d’apprendre ce qu’il ignore en est la preuve : cette passion est écrite dans la forme que la nature a imprimée à l’homme, en lui donnant une tête élevée et qui se meut facilement sur un cou flexible. Je vis donc suivant la nature, si je me consacre entièrement à la contemplation. Mais il faut qu’elle ait un but utile ; il faut que le sage dans la retraite se rende utile à l’humanité par les résultats de ses méditations solitaires. À ce titre, Cléanthe, Zénon et Chrysippe n’ont-ils pas rendu plus de services que s’ils avaient commandé des armées et administré l’Etat ?

Tout ce que ce traité peut présenter de paradoxal en faveur de l’abus d’une vie contemplative, se trouve corrigé par Sénèque lui-méme dans le traité de la Tranquillité de l'âme (III) ; et l’on peut le