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jour, non comme un châtiment, mais comme une loi de la nature ; et nulle terreur n’osera s’introduire dans un cœur dont vous aurez banni la crainte de la mort. Songez que les désirs de l’amour n’ont pas été donnés à l’homme pour la volupté, mais pour la propagation de l’espèce ; et toutes les passions respecteront celui que n’aura pas atteint ce fléau secret attaché à nos entrailles. La raison ne terrasse pas chaque vice isolément, mais tous à la fois ; sa victoire est générale. Pensez-vous donc que le sage soit sensible à l’infamie, lui qui renferme tout en lui-même, et qui s’est séparé des opinions du vulgaire ? Une mort ignominieuse, dites-vous, est pire que l’ignominie. Cependant voyez Socrate, cet air majestueux avec lequel on l’avait vu jadis réprimer l’insolence des trente tyrans, il le porte dans la prison, pour la dépouiller de l’infamie. Eh quoi ! pouvait-on voir une prison, là où était Socrate ? Ne faut-il pas fermer les yeux à la lumière, pour traiter d’ignominie le double refus qu’essuya Caton dans la demande de la préture et du consulat ? L’ignominie ne fut un honneur que pour ces deux charges. Le mépris qu’ont pour nous les autres, découle du mépris de nous-mêmes. Les âmes viles et abjectes sont seules vulnérables à cette sorte d’outrage. Mais, quand on s’élève au-dessus des plus cruels événements, quand on triomphe des maux auxquels succombe le vulgaire, les infortunes elles-mêmes deviennent une égide sacrée contre le mépris. Tel est l’homme ; rien ne s’empare plus fortement de son admiration qu’une âme héroïque au milieu des revers. Dans Athènes, on conduisait Aristide au supplice. Tous ceux qui le rencontraient baissaient les yeux, et plaignaient, non le sort d’un homme